Ce livre est sans intérêt… ou pas !
Je te l’accorde : difficile d’être enthousiasmé par un livre de droit.
Certes, celui-ci date de 1573, donc il raconte une époque… mais bon… en plus, il est entièrement en latin. Barbant, non ?
Et pourtant, si on y regarde de plus près, il réserve quelques trésors insoupçonnés.
Un vieux pépère plein d’enseignements
Je suis en train de restaurer ce volume dans le cadre de ma formation.
À première vue, il n’a pas grande valeur marchande, mais pour l’apprentissage, c’est une pépite.
Et surtout, il est impressionnant : ➡️ 1926 pages !
Ce simple chiffre devrait te plonger dans une réflexion abyssale.
Souviens-toi : on est au XVIᵉ siècle, donc bien avant l’ordinateur et même l’imprimerie industrielle.
Cela veut dire que chaque lettre de ce monumental ouvrage a été sculptée, fabriquée, fondue en plomb, et placée une à une dans les composteurs. Des milliers, probablement !
La typographie, un travail d’orfèvre
Et si ce n’était que ça !
As-tu remarqué le nombre de polices différentes ?
Les italiques, les gras, les titrages, les majuscules, les chiffres, les changements de taille… Chacune de ces spécificités est un alphabet avec un nombre astronomiques de lettres.
Tu imagines le nombre de ”e” qu’il a fallu pour ce livre “sans intérêt” ?
Et les points ? Des centaines, peut-être des milliers ! Ça n’a l’air de rien, un point, tout petit, et pourtant c’est indispensable.
Et pire encore : les espaces. On ne les voit même pas, et pourtant ils ont été fabriqués, comptés, insérés avec précision. Parce que oui, les espaces sont des caractères à part entière.
Et les lettrines, parfois enluminées ? Elles aussi ont dû être gravées et fondues spécialement.
Même les accolades méritent qu’on s’y attarde : certaines ont probablement été créées uniquement pour cet ouvrage, surtout les grandes. Peu de chance qu’elles aient resservi ailleurs !
Un luxe insoupçonné
Tiens-toi bien : la préparation des plaques d’impression a probablement pris des mois, voire plus d’un an. Assembler chaque lettre, chaque caractère, un à un, en évitant les fautes d’orthographe et en faisant attention à la mise en page.
Certaines maisons d’édition de l’époque ne publiaient qu’une poignée de livres durant leur existence, une douzaine peut-être, faute de temps et de moyens. Et chaque tirage devait compter environ 200 exemplaires en moyenne.
Tu imagines le luxe absolu que représentait la possession de ce livre ?
Et le texte, dans tout ça ?
Le typographe n’a pas rédigé le contenu, évidemment.
Quelqu’un (l’auteur, Accursy ??? Je ne sais pas lire le latin, désolée…) a dû l’écrire, à la main, recopier les textes de loi, à la main, ajouter ses commentaires et ses notes, à la main, puis confier le tout à l’imprimeur pour être mis en page et imprimé.
Pas d’ordinateur, pas de copier-coller, juste de la plume, de l’encre, et beaucoup de patience.
Si ça ne t’impressionne pas un peu, je rends les armes 😄
Un dernier détail
Voici une particularité que je n’avais pas encore rencontré : la double pagination. Chaque page contient deux numéros de page, à la suite.
Il parait que le premier nombre corresponde au texte originel, au centre, et que le deuxième soit rattaché aux gloses autour, c’est-à-dire le commentaire. Mais d’après l’index, j’ai plutôt l’impression que le nombre de gauche fait référence au côté gauche de la page, et le nombre de droite au côté droit. Mais bon, moi et le latin… à vérifier !
Alors, livre sans intérêt ou pas ?
Ce vieux livre de droit en latin n’a peut-être plus grand intérêt pour un juriste moderne, mais pour un amoureux du livre, un artisan ou un curieux, il est un témoignage extraordinaire du savoir-faire, de la minutie et du temps que l’on consacrait autrefois à chaque ouvrage.